13
Depuis plusieurs jours, Khirâ ne vivait plus. Elle avait appris par un courrier de Semourê que l’Horus avait été frappé par la Mort Noire, et que sa mère avait quitté Mennof-Rê pour le rejoindre à Per Bastet. Depuis, elle n’avait plus aucune nouvelle. Chaque nuit, des cauchemars la hantaient. Elle était persuadée de ne jamais revoir ses parents vivants. Les informations glanées par hasard auprès des visiteurs qui remontaient le Nil, les rumeurs récoltées çà et là lui donnaient une vision amplifiée et déformée des ravages causés par le fléau.
Aussi la lettre adressée par la reine à ses enfants lui causa-t-elle un grand soulagement. Jamais la fillette n’avait été aussi heureuse de savoir déchiffrer les medou-neters, les signes sacrés. Dans son message, Thanys les informait que l’épidémie régressait, et qu’il y avait beaucoup moins de malades. Avec l’aide de Thôt, l’Horus Djoser avait triomphé du mal. Quant à elle, elle n’avait pas été atteinte. Elle leur apprenait aussi la triste nouvelle de la mort de Piânthy.
À la demande de Thanys, Moshem en personne avait quitté Mennof-Rê pour porter la lettre. Lorsque, après deux jours de voyage par bateau, il arriva à Kennehout en compagnie de son épouse, Ankheri, il comprit que la petite cité avait beaucoup souffert du passage des criquets. En raison du soleil impitoyable, les semailles effectuées après le fléau n’avaient guère porté de fruits. Le vieux Senefrou accueillit Moshem avec de grandes démonstrations d’amitié. Il n’ignorait pas que l’Amorrhéen avait été à l’origine des mesures d’économie effectuées pendant les années d’abondance, et il lui en savait gré. Les deux hommes avaient en commun le goût de l’organisation.
— Ah, seigneur, nous vivons des jours bien étranges. Il semble que les dieux aient décidé de s’acharner sur nous. Après le passage de ces maudites sauterelles, il ne me reste même pas de quoi nourrir les serviteurs du domaine. Quant aux paysans, ils en sont réduits à fabriquer de la farine avec des racines. Même les élevages d’oiseaux d’Ameni ne parviendront pas à nous sauver de la famine. Cela est d’autant plus incompréhensible que les derniers caravaniers arrivés de l’oasis de Bahariya affirment qu’elle a été moins touchée que nous par la sécheresse. Imagines-tu cela ? Ces terres de sable et de rocailles, perdues au cœur du désert de Seth, épargnées par le cruel Apophis. C’est à n’y rien comprendre.
— L’oasis de Bahariya serait donc si riche ? Où se situe-t-elle ?
— Vers l’ouest, au cœur de l’Ament à environ cent miles de Kennehout. Ses habitants estiment faire partie du Double-Royaume depuis qu’ils se sont ralliés à l’Horus Djed, voici bien longtemps. Mais pour ma part, je les considère comme des sauvages apparentés aux tribus nomades, qui sont les incarnations des affrits.
Ce disant, il roulait des yeux inquiets. Depuis toujours, les habitants des petits villages échelonnés le long de la vallée avaient redouté les attaques imprévisibles des pillards venus du désert occidental.
— Nous entretenons pourtant de bonnes relations commerciales avec Bahariya, n’est-ce pas ?
— On élève là-bas l’un des meilleurs vins d’Égypte, seigneur Moshem, confirma le vieil intendant. Ils nous fournissent des dattes et des peaux ; ils possèdent également des troupeaux importants.
— Dans ce cas, pourquoi ne pas leur demander de te venir en aide ? N’as-tu donc plus rien à leur proposer en échange ?
— J’y ai bien pensé, Seigneur. Kennehout, grâce à la générosité de l’Horus Neteri-Khet – Vie, Force, Santé – jouit de sa fortune propre en or et en pierres. Mais je ne dispose pas d’une troupe suffisante.
— Le roi ne t’a-t-il pas envoyé des guerriers afin de protéger les enfants ?
— Une cinquantaine, Seigneur. Et ces soldats coûtent cher à nourrir, se lamenta-t-il.
— Eh bien justement ! Ils pourraient assurer la défense de ta caravane.
— Mais je n’ai pas le pouvoir de les faire obéir. Je ne suis que l’intendant du roi pour son domaine de Kennehout.
— Moi, je l’ai, ce pouvoir. Le roi m’a confié un sceau ordonnant à tous ses serviteurs de se mettre à ma disposition. Qui les commande ?
— Ils sont dirigés par le capitaine Kebi.
— Je le connais ! C’est un homme brave.
Il lui montra l’œil d’Horus et insista :
— Nous ne pouvons laisser la population de Kennehout dépérir lentement de faim. N’oublie pas qu’elle abrite les enfants royaux. Combien de temps faudrait-il pour joindre Bahariya ?
— Environ cinq jours, Seigneur. Mais te rends-tu compte des risques que tu prends ? Cette région est infestée par des tribus de Bédouins. Certaines sont pacifiques, mais d’autres rançonnent les caravanes. C’est pourquoi les voyageurs sont si peu nombreux.
— Nous aurons notre propre armée. Outre les cinquante guerriers de Kebi, j’ai amené avec moi mes fidèles compagnons, des soldats que j’ai formés moi-même. Ils sont une trentaine. Nous y ajouterons une cinquantaine de serviteurs sachant manier le bâton et la hache. Je suis sûr qu’aucune bande de pillards n’osera s’attaquer à notre caravane.
— Si tu prends cette responsabilité, Seigneur, je t’obéirai. Mais tu oublies un point important !
— Lequel ?
— Ces hommes sont destinés à garder les enfants, pas à escorter un convoi.
— J’emmènerai les enfants avec moi. S’ils restent à Kennehout, ils risquent fort de manquer de nourriture d’ici peu.
— Les emmener ?
— Bien sûr ! Il me faudra aussi des ânes. De combien en disposes-tu ?
— Je… une trentaine.
— C’est bien. Nous allons donc constituer cette caravane. Tiens-toi prêt à l’annoncer aux serviteurs.
Depuis près de deux mois qu’ils étaient bloqués à Kennehout, les enfants accueillirent la nouvelle avec enthousiasme. La perspective du voyage à Bahariya les enchantait. La vie morne du village commençait à leur peser. De plus, ils adoraient Moshem, qui racontait avec humour les histoires de son pays. Quant à Kebi, il ne fit aucune difficulté pour se ranger à l’avis de Moshem. Depuis quelques jours déjà, il avait peine à trouver de quoi nourrir ses guerriers. Les rations avaient été diminuées, et calmaient à peine la faim. L’idée de se rendre dans un endroit où la nourriture était encore suffisante ravit les soldats.
Très vite, la nouvelle se répandit. Moshem avait fait savoir qu’il avait besoin de porteurs et de serviteurs. Une foule importante se pressa bientôt devant la demeure de Djoser pour offrir ses services.
Quelques jours plus tard, la caravane quittait Kennehout. Khirâ, montée sur un petit âne, regarda sans regrets s’éloigner le village. Depuis toujours, elle avait entendu les conteurs narrer les exploits de son père et de sa mère, et elle éprouvait l’envie secrète de vivre des aventures similaires. Cette expédition au cœur du désert occidental constituait une merveilleuse opportunité. Lors des parties de chasse, elle n’avait jamais dépassé de plus de quelques miles la savane qui bordait Saqqarâh à l’ouest. Cette fois, on allait passer cinq ou six nuits à la belle étoile, pour parvenir dans ce lieu dont le nom comportait un parfum de mystère : Bahariya.
Elle avait pris Inkha-Es contre elle. Depuis son horrible cauchemar, elle ne se séparait plus de sa petite sœur. Bien entendu, elle ne lui en avait jamais parlé, mais sa vigilance ne s’était jamais relâchée. Satisfaite d’être ainsi entourée d’attention, ravie aussi du voyage, Inkha-Es faisait la conversation à sa grande sœur, s’étonnant de tout ce qu’elle voyait, des animaux étranges comme les hérissons aux longues oreilles qui hantaient la savane aux abords du désert, les renards des sables, les gerboises bondissantes, ou encore ces gros lézards que l’on appelle fouette-queue, dont précisément la queue hérissée d’épines acérées constituait un plat fort apprécié de ceux qui traversaient le désert. Khirâ adorait l’écouter bavarder.
Bercée par les pas lents et réguliers de sa monture, elle contemplait le désert, Depuis toujours, celui-ci l’avait fascinée. Elle ne comprenait pas pourquoi certains y voyaient le royaume des démons. Au contraire, il se dégageait des vastes étendues balayées par les vents tièdes une sensation de paix et d’éternité. Elle avait conscience de leur beauté extraordinaire et de leur puissance, une puissance qui inspirait le respect. Car ici l’homme n’avait pas sa place. Il ne faisait que passer, son regard ne faisait qu’effleurer le sommet des dunes mouvantes, montagnes éphémères que les vents déplaçaient au gré de leur fantaisie. Elle ne se lassait pas de les admirer. Mais à qui faire partager l’émotion qui l’étreignait devant le paysage sans cesse renouvelé et pourtant immuable, éternel ? Inkha-Es était trop jeune pour comprendre cette beauté fabuleuse. Quant à ses compagnons, ils ne cessaient de scruter l’horizon à la recherche d’un ennemi éventuel. Pourquoi fallait-il donc que les hommes fussent ainsi obsédés par les combats, au lieu de s’extasier devant les merveilles dont ils étaient entourés ?
Au soir de la première nuit, elle s’étonna que Kebi lui confiât une couverture. Le soleil luisait dans un ciel sans nuages, et la température du désert était suffocante. Lorsqu’il lui affirma qu’il allait faire très froid pendant la nuit, elle ne le crut pas. Pourtant, la nuit venue, elle comprit l’utilité de la couverture. La température avait chuté d’une manière spectaculaire, il faisait encore tiède lorsqu’elle s’endormit, ses bras enveloppant Inkha-Es pour la protéger. Lorsqu’elle s’éveilla, le lendemain matin, ses yeux incrédules découvrirent une légère couche de givre sur les pierres proches, tandis qu’un air vif pénétrait ses poumons. Heureusement, dès le début de la matinée, cette sensation de froid se dissipa très vite pour laisser de nouveau place à une chaleur étouffante.
Sans doute la présence d’une centaine de combattants bien aimés fut-elle suffisante pour dissuader d’éventuels pillards de s’attaquer à la caravane. Celle-ci parvint sans encombre à Bahariya six jours plus tard. Il sembla cependant à Khirâ que l’on était parti depuis bien plus longtemps. Au matin du sixième jour, elle découvrit, depuis le sommet d’une dune, une importante dépression rocailleuse étirée sur plus de dix miles, qui abritait une étendue verdoyante de palmiers et d’arbustes. Au centre s’étirait une succession de petits étangs qui parfois prenaient les dimensions de lacs. Sur les rives du plus important d’entre eux s’élevaient quelques demeures de briques crues recouvertes de calcaire blanc. Mais la plupart des habitations n’étaient que des tentes entourées de petits troupeaux de chèvres et de mouflons.
Les indigènes différaient des peuples de la Vallée. Leur vêture et leur attitude rappelaient celles des Bédouins. Ils observèrent les arrivants avec une certaine méfiance. Pourtant, lorsque Moshem se présenta, la curiosité porta la foule vers les nouveaux venus. Le premier moment de surprise passé, on sacrifia aux lois de l’hospitalité, et les Égyptiens furent conviés à boire un gobelet d’eau fraîche tiré des sources qui alimentaient l’oasis. Des nuées d’enfants inquisiteurs vinrent sans vergogne interroger les caravaniers.
Une bâtisse un peu plus grande que les autres abritait le gouverneur de Bahariya ; il ne portait pas le titre de nomarque, mais en assumait cependant les fonctions. C’était un homme au visage long et sec, aux traits marqués par le désert. Son nom était Medi-Nefer. Il était difficile de lui donner un âge. Son regard perçant impressionna beaucoup les enfants, sur lesquels il exerçait une étrange attraction. Khirâ sentit qu’il existait entre cet homme et elle un curieux lien de parenté. Lui aussi aimait le désert.
Tandis que rôtissaient un mouton et un chevreau, Medi-Nefer, de sa voix profonde, parla de sa tribu, de son peuple, qui avait depuis des générations conclu une alliance avec les souverains de la Vallée noire. Pendant une partie de la nuit, il raconta des légendes de l’oasis, que les enfants écoutèrent bouche bée, même les plus jeunes.
— Connaissez-vous la légende de Nehri, petits princes ? Nehri était le fils d’un grand chef de tribu du désert. Un jour, il voulut gagner l’oasis de Dakhla et emporta des vivres qu’il chargea sur son âne. Parmi ces vivres, il y avait une grande quantité de dattes. Nehri se mit en chemin d’un cœur léger, car il devait épouser la fille d’un autre chef de tribu. En raison de la chaleur, il voyageait la nuit et dormait le jour, abrité sous un surplomb rocheux, ou dans une caverne, lorsqu’il en trouvait une. Chaque soir, avant de se mettre en route, il prenait un solide repas et rêvait de sa future épouse, qu’il n’avait jamais vue, car le mariage avait été conclu par les deux chefs de tribu.
« Peu à peu cependant, ses vivres s’épuisèrent et, bientôt, il ne lui resta plus que des dattes. Il les mangeait à la lumière d’un croissant de lune, avant d’entreprendre sa traversée nocturne. Bien sûr, il n’y voyait pas grand-chose, et il plongeait les mains dans son sac de dattes, qu’il dévorait chaque soir avec un peu plus d’appétit. Car chaque soir, les dattes lui semblait meilleures. Il pensa que la faim augmentait son appétit, mais il ne se sentait pas particulièrement affamé. Et, toujours, tandis qu’il mangeait, il se plaisait à se représenter le visage de sa fiancée, la couleur de ses yeux, la minceur de sa taille, la finesse de ses traits, la douceur de son caractère.
« Et puis un soir, alors qu’il était presque arrivé au terme de son voyage, il mangea ses dernières dattes. Au moment où il prenait l’une d’elles, la lune pleine, dévoilée par un nuage, éclaira le fruit qu’il tenait en main. Il s’aperçut alors qu’elle était pourrie et abritait un gros ver. Il la rejeta au loin et en prit une autre. L’autre aussi était pourrie. Il vida le sac sur le sable et constata que depuis plusieurs jours, il mangeait des fruits avariés. Il fut d’abord pris d’une nausée, et pensa que Thôt, le dieu de la Lune, lui avait joué un bien vilain tour, et il lui adressa des reproches. Puis, avant de se mettre en route, il songea une nouvelle fois à sa bien-aimée, dont il allait faire enfin la connaissance le lendemain. Mais quelque chose le gênait. Il ne parvenait plus à l’imaginer de la même manière. Il ne comprenait pas. Il aurait dû éprouver de la joie, il ne ressentait que de la méfiance. Puis il regarda de nouveau vers la lune, et soudain, il se prosterna dans sa direction. Thôt n’avait pas voulu lui jouer un tour, mais bien l’avertir. Et si les rêves qu’il se construisait chaque soir étaient à l’image des dattes ?
« Peut-être ne s’agissait-il que d’une coïncidence, mais il valait mieux s’en assurer. Aussi, lorsqu’il atteignit Dakhla le lendemain, il se fit passer pour un voyageur égaré, et évita de montrer la bague qui disait son rang. Personne ne s’occupa de lui. On attendait en effet un visiteur important, qui devait épouser la fille du chef. Ce stratagème lui permit d’approcher discrètement sa promise. Il constata alors que celle dont il s’était représenté les charmes durant toutes ces nuits magiques passées dans le désert était en réalité fort laide, avec un visage porcin et de gros yeux de crapaud. Cela n’eût été que demi-mal si, sans doute à cause de son titre, elle n’avait fait preuve d’un caractère autoritaire et détestable. Nehri repartit le jour même pour Bahariya, sans se faire connaître, et bien plus vite encore qu’il n’était venu. Les gens de Dakhla crurent qu’il avait péri dans le désert. De retour chez lui, Nehri fit chaque jour des offrandes à Thôt pour le remercier de lui avoir évité un si mauvais mariage. »
Dès son arrivée, Khirâ s’était liée d’amitié avec la fille de Medi-Nefer, Neserkhet. Âgée, comme elle, d’une douzaine d’années, Neserkhet faisait preuve d’un caractère doux, toujours égal, qui contrastait avec l’esprit bouillonnant et rebelle de Khirâ. Celle-ci suscitait l’admiration de sa compagne. Neserkhet l’enviait de ne pas redouter les esprits qui hantaient le désert, et la trouvait très courageuse. En vérité, Khirâ apportait à son amie le grain de folie qui lui faisait défaut.
Le soir, avant d’aller dormir sous les tentes de peau que les soldats avaient installées, les deux fillettes accompagnaient Medi-Nefer dans sa promenade en lisière du désert. Au loin se découpaient les ombres noires des montagnes du sud. Les lacs que n’agitait nul souffle de vent s’étiraient dans leurs écrins de palmiers et de champs cultivés. Tous trois s’asseyaient en silence sur le sable. Neserkhet glissait sa petite main dans celle de son père.
Khirâ aimait le désert. Elle en écoutait attentivement tous les bruits, des rumeurs mystérieuses qui semblaient provenir de partout à la fois. Elle aurait aimé pouvoir s’aventurer plus loin, au cœur des sables et des roches, simplement pour entendre les appels des prédateurs nocturnes, chauves-souris, chacals, fennecs, rapaces. Les légendes affirmaient que l’Ament était le royaume des morts. Pourtant, elle ne cessait d’y découvrir la vie, résolument agrippée à la moindre aspérité rocailleuse sous les formes les plus diverses. Des plantes aux écorces rudes y résistaient aux terribles vents de sable. Les insectes, lézards, scorpions et serpents y grouillaient, s’enfonçant dans le sable pendant la journée pour ne pas périr de chaleur. La nuit, lorsque se déployait la draperie des étoiles de Nout dans le ciel, la clarté bleue de la lune inondait les étendues infinies d’une lumière magique, fabuleusement belle.
Khirâ respirait profondément l’air de la nuit. Cette légende concernant les affrits était stupide. Personne n’en avait jamais vu. Les hommes redoutaient le désert. Il en avaient fait le royaume de Seth le rouge, l’orée du royaume des morts. Au contraire, elle éprouvait face à l’immensité mystérieuse une formidable sensation de sérénité. En elle vibrait un étrange sentiment de confiance absolue. Elle savait que rien de mal ne pourrait lui arriver dans le désert, parce qu’il la protégerait.
Soudain, la voix chaude de Medi-Nefer déclara :
— Il existe à Bahariya une très vieille légende, bien plus ancienne que celle d’Osiris lui-même, car elle remonte sans doute à la création du monde par Atoum. Elle dit qu’autrefois, le fleuve de la Vallée noire empruntait la route des oasis, depuis Doung, Karghi, et Dakhla, pour aller se jeter dans le lac Moer. Puis un jour, un tremblement de terre d’une violence extraordinaire, dû à la colère du Noun, dieu du Chaos, changea le cours du fleuve. L’ancien lit s’assécha, et les oasis ne sont plus que les ombres de ce fleuve fantôme. Son esprit flotte encore sur Bahariya et la protège. Pourtant, dès que l’on s’éloigne de la dépression fertile, il faut redoubler de prudence. Les sables ne sont pas le royaume des hommes.
Au loin, une hyène lança un appel plaintif, à mi-chemin entre un rire moqueur et le pleur d’un nouveau-né. Medi-Nefer ajouta :
— Le désert est magnifique, mais dangereux. Il faut le respecter. Il abrite des créatures qui ne sont ni de chair ni de sang, qui dévorent l’âme et le corps. Ne vous aventurez jamais seules loin du village.
— Je connais ces démons, répondit Khirâ. À Mennof-Rê, on les appelle les affrits. Mais je n’en ai jamais vu et je n’y crois pas.
— Parce que les dieux veillaient sur toi, petite princesse. Mais prends garde ! Plusieurs jeunes gens et jeunes filles ont disparu du village. On ne les a jamais retrouvés.